Robert a pris rendez-vous avec Marie, une conseillère financière. Marie ne l’a jamais rencontré auparavant, mais son nom ne lui est pas inconnu. En fait, Robert détient une procuration de sa tante Gertrude, une cliente de longue date de Marie. Robert explique à Marie que sa tante a récemment été déclarée inapte à gérer ses propres affaires financières et qu’il est son fondé de pouvoir, et il remet à Marie une copie de la procuration.
Robert veut apporter rapidement des changements au portefeuille de sa tante Gertrude, et utiliser une partie de l’argent de celle-ci pour s’en faire don, ainsi qu’en faire don à certains de ses cousins. Après tout, dit-il à Marie, « ma tante n’en a pas besoin, elle est financièrement très à l’aise ». Il dit aussi que ses cousins et lui ont vraiment besoin de cet argent. De plus, il veut effectuer un don à l’église que fréquente sa tante, au nom de celle-ci. Marie sait que Gertrude avait l’intention de faire des dons de bienfaisance et qu’elle versait un montant à l’église chaque année, à Noël.
Robert veut aussi modifier la désignation de bénéficiaire du FERR de Gertrude. Celle-ci avait désigné sa succession comme bénéficiaire. Robert veut que ce soit lui, expliquant que ce changement de bénéficiaire facilitera la gestion de la succession en permettant d’éviter que les fonds soient immobilisés pendant le processus d’homologation.
Robert veut discuter de l’incidence de ces changements sur la planification successorale de Gertrude et de leurs répercussions fiscales. Il n’a pas apporté une copie du testament de Gertrude, et Marie n’a jamais vu ce testament. Gertrude ayant toujours été avare de renseignements, Marie n’est pas surprise d’apprendre des choses qu’elle ignorait, mais elle hésite à exécuter les directives de Robert même si ce dernier est légalement autorisé à les donner. Le détenteur d’une procuration peut-il, en vertu de celle-ci, effectuer des dons et des modifications de bénéficiaire?
Les dons d’actifs
Le fondé de pouvoir a une relation de fiduciaire avec la personne ayant accordé la procuration. Il est donc tenu d’agir dans l’intérêt fondamental de celle-ci. Puisque l’octroi de dons réduit les actifs de Gertrude, il semble contraire à ce principe. Dans la majorité des provinces, toutefois, les dons en vertu d’une procuration sont parfois autorisés.
Pour établir si ce droit existe ou non, il faut d’abord consulter les lois de la province de résidence du mandant. La plupart des provinces permettent, dans certaines circonstances limitées, au détenteur d’une procuration, comme Robert, d’employer les actifs du mandant pour effectuer des dons ou des prêts aux amis ou aux membres de la famille du mandant ou à un organisme de bienfaisance.
La loi ne permet habituellement les dons que lorsque les actifs restants du mandant, Gertrude dans ce cas, suffiront à subvenir à ses besoins de base et lorsqu’il y a lieu de croire qu’il aurait effectué lui-même ce don s’il avait été en mesure de le faire. En ce qui a trait aux dons de bienfaisance, la législation provinciale exige généralement que le mandant l’autorise spécifiquement dans la procuration ou qu’il soit démontré que celui-ci a effectué des dons de cette nature alors qu’il était encore compétent.
Il faut néanmoins passer soigneusement en revue la législation de la province en question, puisque les dispositions varient d’un territoire à l’autre. En Saskatchewan, par exemple, le montant des dons est limité à 1 000 $ et il est interdit au fondé de pouvoir, sous réserve de toute autorité que lui accorde explicitement la procuration, de se faire des dons. En Ontario, les dons de bienfaisance ne doivent pas être supérieurs à 20 % du revenu que tire le mandant de l’actif pendant l’année visée, ou à tout plafond explicitement indiqué dans la procuration.
Avant d’accéder aux demandes de Robert, Marie doit donc examiner avec lui les modalités de la procuration et les dispositions des lois provinciales. Le testament de Gertrude doit aussi être passé en revue pour assurer que tout don envisagé ne va pas à l’encontre de l’esprit du plan successoral de cette dernière.
Même s’il est établi que les dons envisagés sont autorisés par la procuration et par la loi, Robert doit néanmoins procéder avec prudence. En effet, les tribunaux ont été saisis à plusieurs reprises de causes ayant trait à des dons effectués par un fondé de pouvoir. Dans Westfall v. Kovacec Estate, par exemple, la Cour de justice de l’Ontario a refusé d’autoriser le don proposé. Le fondé de pouvoir avait prétendu que le montant en cause était peu élevé, qu’il avait vraiment besoin de l’argent, que le mandant n’avait pas besoin de cet argent, et que lui, le fondé de pouvoir, allait vraisemblablement toucher un héritage du mandant de toute manière. La cour a déclaré que ces motifs n’étaient pas plus justifiés que ne l’était le vol pur et simple. Le don envisagé était manifestement incompatible avec la législation provinciale puisqu’il n’y avait aucune raison de croire que le mandant l’aurait effectué s’il avait été compétent pour le faire.
Dans Laird v. Mulholland, au contraire, la Cour de l’Ontario a permis un don de 10 000 $ au fondé de pouvoir et à sa femme, des amis de longue date de la personne incompétente. Le fondé de pouvoir, en effet, avait pu démontrer que la personne incompétente était très généreuse, et qu’elle avait notamment effectué d’importants dons au fondé de pouvoir et à sa famille à l’occasion d’anniversaires et des Fêtes de Noël
La modification de la désignation de bénéficiaire d’un FERR
Il semble, toutefois, que Robert ne pourra pas obtenir le changement de désignation de bénéficiaire du FERR de Gertrude. Au Canada, les désignations de bénéficiaire de polices d’assurance vie, de rentes de retraite, de REER, de FERR et de CELI sont généralement considérées comme des dispositions testamentaires et, à ce titre, ne peuvent en aucun cas être effectuées ou modifiées par un fondé de pouvoir. Cela dit, la Colombie-Britannique a assoupli ses règles et permet maintenant à un fondé de pouvoir de conserver une désignation existante visant un régime enregistré rapatrié d’une autre institution financière ou une transition d’un type de régime à un autre. Les tribunaux, d’autre part, se sont fermement opposés à ce genre d’intervention.
Conclusion
Marie et Robert doivent tous deux agir avec prudence pour éviter que ce dernier manque à ses obligations envers sa tante. Procéder aux changements sans d’abord évaluer soigneusement les exigences législatives et les dispositions de la procuration peut engager la responsabilité du fondé de pouvoir, et entraîner des querelles familiales si certains membres de la famille mettent en question la légitimité des dons.
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